Psychothérapie limbique. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 73.
LES FONDEMENTS ANCIENS ET RÉCENTS DE LA PSYCHOTHÉRAPIE LIMBIQUE®
Jusqu’au XVIe siècle, de nombreux individus atteints de troubles dissociatifs exprimaient leurs symptômes à travers un prisme religieux (Van der Hart et al., 1996). A la fin du XIXe siècle, Jean-Martin Charcot (1825- 1893) élabore une classification des crises den somnambulisme (Charcot, 1887) observées chez des patients « hystériques » (dissociatifs) et Pierre Janet (1859-1947) poursuit ces travaux. Il montre que ces sujets possèdent plusieurs personnalités, dont au moins une inaccessible au langage : la personnalité subconsciente. Pierre Janet utilise une hypnose dédiée aux sujets traumatisés (Saillot, 2017) et publie ses résultats dans L’automatisme psychologique (Janet, 1889). Les mécanismes psychologiques mis en lumière par Pierre Janet inspirent directement l’introduction des troubles dissociatifs dans le DSM-III en 1980 (Saillot, 2018).
L’un des principaux apports de Pierre Janet réside dans son rapprochement entre des troubles en apparence organiques et un traumatisme (Janet, 1909) lié à de fortes émotions (Van der Hart, Friedman, 1989). C’est pourquoi il s’intéresse aux paralysies, contractures, douleurs, confirmant ainsi le lien entre le corps et l’esprit. Ces travaux font de Pierre Janet un précurseur de la Psychothérapie Limbique®, approche axée sur la régulation du système limbique pour réunifier la personnalité dissociée. Un précurseur des recherches sur les circuits sous-corticaux en relation avec le corps est le physiologiste Charles Sherrington (1857- 1952), ayant établi en 1919 la loi de l’inhibition réciproque, également connue sous le nom de « loi de Sherrington », selon laquelle l’excitation d’un muscle agoniste entraîne l’inhibition du muscle antagoniste.
La loi de Sherrington permet de mieux comprendre les processus d’inscription du traumatisme dans le corps, car les voies neurophysiologiques du stress et celles du bien-être sont antagonistes. Stephen Porges, neuroscientifique, est l’auteur de la théorie polyvagale des émotions (Porges, 2003) selon laquelle notre système nerveux autonome est composé de deux voies de régulation : la voie vagale dorsale maintient le stress et l’hypervigilance des états post-traumatiques, tandis que la voie vagale ventrale contribue à la sécurité et aux relations sociales.
Ainsi ces deux voies font écho aux voies antagonistes de Sherrington. En agissant sur ces voies neurovégétatives, la Psychothérapie Limbique® repose sur des modalités non verbales, offrant accès aux expériences traumatiques impossibles à exprimer par la parole (Mayer, 2017). Les travaux de Pierre Janet connaissent une mise à jour approfondie avec la théorie de la Dissociation structurelle de la personnalité (DSP), développée par Onno van der Hart et son équipe. Les auteurs de Le soi hanté (Van der Hart, Nijenhuis, Steele, 2010) démontrent qu’en réaction à un traumatisme, la personnalité se fragmente en plusieurs parties : la Partie apparemment normale (PAN) et la Partie émotionnelle (PE). La PAN gère les tâches quotidiennes, et la PE renferme le traumatisme, figée dans le passé et inaccessible au langage (Van der Hart, Dorahy, 2009). Ainsi la DSP est un dysfonctionnement résultant d’une dérégulation émotionnelle, donc d’un dysfonctionnement du système limbique.
DÉRÉGULATION NEUROPHYSIOLOGIQUE ET DISSOCIATION FONCTIONNELLE
Notre quotidien repose sur une étroite collaboration entre notre cerveau, notre système immunitaire et notre système endocrinien. Ces interactions sont essentielles pour nous adapter aux situations dangereuses et réagir aux changements de notre environnement. Les hormones sont libérées dans notre corps par l’hypophyse et l’hypothalamus, et leur régulation est assurée par le système limbique, qui interprète les émotions induites par le monde extérieur. Le fonctionnement cérébral est étroitement lié à l’activité du système limbique, qui joue un rôle de modulation sur les systèmes immunitaire et endocrinien.
En général, le cerveau ne libère que pendant quelques minutes l’adrénaline, la noradrénaline et le cortisol. Cependant, chez les individus traumatisés, cette sécrétion liée au stress peut se prolonger considérablement, provoquant une perturbation du système nerveux autonome. L’un des facteurs fréquents en est le trouble de l’attachement : en abordant directement la cause du problème, la Psychothérapie Limbique® cible le coeur de la problématique du patient et permet de rétablir l’unité de la personnalité dissociée sans suggestion ni protocole préétabli.
Le concept de Dissociation Fonctionnelle© introduit par Bernard Mayer (2022a) permet de mieux comprendre ces phénomènes en reliant la DSP et la psychasthénie de Pierre Janet. La Dissociation Fonctionnelle© se différencie de la dissociation structurelle par le fait que les parties dissociées de la personnalité maintiennent une conscience mutuelle, et sont en conflit. De plus, contrairement à la psychasthénie, considérée par Pierre Janet comme pratiquement incurable, la Dissociation Fonctionnelle© peut être traitée rapidement grâce à des outils dont le grand psychologue ne disposait pas. En effet, le diagnostic de dissociation dynamique s’accompagne d’un traitement, la Psychothérapie Limbique®, axé directement sur le système nerveux autonome. Dans cette optique, les stimulations corporelles thérapeutiques (TICE®) permettent d’identifier les Parties émotionnelles (PE) qui perturbent le patient et d’initier un dialogue entre elles, favorisant l’intégration de la personnalité.
C’est à ce stade que la fenêtre de tolérance est importante pour la régulation des voies sympathiques et parasympathiques afin de rééquilibrer les voies vagale dorsale et vagale ventrale. Ce travail exige un accordage à deux niveaux afin de permettre au thérapeute de se connecter au patient, sur les plans neurophysiologique et relationnel. La Psychothérapie Limbique® ouvre un accès direct aux voies vagales dorsale et ventrale : en libérant les ressources entravées par le traumatisme, elle active la voie vagale ventrale, favorisant ainsi la guérison. C’est pourquoi la pratique de la pleine conscience représente un atout pour le thérapeute, qui accompagne le patient à travers son corps et sa neurophysiologie, étape par étape. Durant cette période thérapeutique, des interventions somatiques spécifiques sont mobilisées.
HISTOIRE DE BÉATRICE
Un cas clinique récemment traité correspond particulièrement bien à cet aspect. Béatrice est une femme de 45 ans présente au Bataclan (Paris) lors des attentats de 2015. Elle vient consulter pour une souffrance psychologique incessante ainsi que des douleurs chroniques. Lors du premier entretien, je découvre que cette patiente illustre un cas de re-traumatisation, car son enfance a été chaotique et elle présentait un terrain de troubles de l’attachement avant les attentats. Pour ce traitement par la Psychothérapie Limbique® il convient de prendre en compte dès le début la posture de la patiente et le moindre de ses mouvements spontanés, de sorte de travailler d’emblée à la limite de sa fenêtre de tolérance, dans le but de l’élargir rapidement. Les peurs et les souffrances de Béatrice la mettent littéralement en mode « survie » et la désorganisent totalement. Ces ressentis et son comportement sont dysfonctionnels sur le plan neurophysiologique, et la psychoéducation aidera la patiente à mieux comprendre ce qui se joue en elle-même. Le travail consiste donc à passer de la dérégulation à la régulation, et pour ce faire notre cible est le système nerveux autonome, dans le cadre de la théorie polyvagale de Stephen Porges : ainsi, nous suivons la physiologie et rien que la physiologie. Couplée à des interventions corporelles spécifiques, l’approche consiste à laisser venir les images, les souvenirs et les sensations, les croyances... de la patiente par des va-et-vient alternativement bas-haut (« bottom-up ») et haut-bas (« top-down »). Cette co-régulation s’imprime somatiquement et permet d’atteindre un état très important : la pleine conscience. La pleine conscience est une étape majeure de la thérapie, déjà identifiée par Pierre Janet sous le terme de « présentification » ou de « réalisation ».
Lors de cette séance, j’aide Béatrice à reconnaître et à accepter maintenant ce qui est arrivé autrefois afin de rendre explicite ce qui était implicite. Notre échange est le suivant (extraits) :
- Béatrice : « Je sais que c’est arrivé il y a quelques années, mais j’ai toujours le sentiment que je suis en danger et que je vais mourir ».
- Thérapeute : Oui, c’est pour ça que je vais vous demander de dire, à voix haute, une ou deux phrases même si vous ne les pensez pas, pendant que je ferai des stimulations manuelles sur certains points du corps qui seront peut-être douloureuses comme je vous l’ai expliqué initialement. Dites à voix haute : “même avec cette partie de moi qui a peur de mourir, j’ai le droit d’exister maintenant” ; “je m’aime et je m’accepte pleinement, même avec cette partie de moi qui a peur de changer”. Je lui demande ensuite : que notez-vous maintenant comme pensées, images ou sensations corporelles ?
- Béatrice : C’est étrange, mon esprit est calme, maintenant. Je n’ai pas l’habitude, car j’ai toujours été sur le qui-vive et en insécurité car ma mère voulait me tuer en me noyant dans une bassine lorsque j’avais 8 ans.
- Th. : Oui, en effet, mais maintenant vous êtes vivante... » Ce travail transforme la neuroception en perception. Les résultats ne se font pas attendre : « Je ressens comme une joie qui cherche son chemin à travers moi... mes muscles sont également détendus, mes douleurs se sont estompées. » Quelques séances auront suffi à soulager durablement Béatrice et à lui permettre de faire ce que Pierre Janet appelait déjà « l’acte de triomphe », c’est-à-dire le dépassement de tous les blocages accumulés depuis des années et l’achèvement pleinement réussi de toutes ses actions entravées par la souffrance et la peur.
CADRE THÉRAPEUTIQUE ET PRINCIPES D’INTERVENTION DE LA PSYCHOTHÉRAPIE LIMBIQUE®
Dans les années 1950 est publié un article important : « Vers une théorie de la dissociation » (Bateson & al., 1956). Il émerge ici le concept de double contrainte (« double bind »). Selon les auteurs, la dissociation serait due à l’exposition à des messages contradictoires imposant une situation paradoxale sans solution possible. Ainsi, avec Gregory Bateson, la dissociation devient la conséquence d’un double lien. Malgré tout, ces auteurs n’ont identifié qu’un double lien, là où la pratique clinique démontre qu’il se tisse souvent des triples, des quadruples liens, et même des liens de tous ordres : les PE sont souvent nombreuses. C’est pourquoi la Dissociation Fonctionnelle© est plus générale que la double contrainte : elle inclut la triple contrainte, la quadruple contrainte et, finalement, la « n-uple » contrainte (Mayer, 2022b). La Psychothérapie Limbique® utilise cette approche clinique : elle vise à intervenir sur toutes les parties dissociées en accédant directement à la source de la souffrance, c’est-à-dire le système nerveux autonome. Contrairement aux thérapies verbales, la Psychothérapie Limbique® ne repose pas sur...
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Président cofondateur de l’IETSP (Institut européen de thérapies somato-psychiques). Cofondateur de l’AFPJ (Association française Pierre Janet).
Formateur & Superviseur certifié en BRAINSPOTTING (Dr David Grand) New York USA 2014
DU Stress et Psycho Traumatisme
Ancien Secrétaire de la Société Française d’Hypnose (SFH).
Praticien certifié EMDR-Europe, ancien membre du CA la Société Française d’EMDR.
N°73 : Mai / Juin / Juillet 2024
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°73 :
''En thérapie brève, comme en hypnose formelle, le thérapeute doit posséder de solides connaissances cliniques et la capacité à rentrer dans une transe partagée avec le sujet qu’il accompagne. A partir de cette expérience relationnelle, le thérapeute va poser des questions pour permettre au sujet de se décaler de l’histoire pathologique dans laquelle il est enfermé.''
Jérémie Roos nous montre comment l’utilisation du questionnement externalisant va permettre chez une jeune femme de 20 ans, prise dans une histoire de conflit de loyauté, de TOC et de surpoids, d’ouvrir un espace de liberté où elle pourra assumer ses prises de décision et trouver la force de renégocier sa place dans les relations. Je vous propose ensuite un texte où je développe un certain nombre de chemins pour « reprendre confiance dans le lien humain », quand celui-ci a été détruit par des vécus traumatiques. Il n’y a qu’à partir d’une expérience de sécurité, en lien avec une confiance retrouvée, que le sujet est en capacité de faire face aux effets du trauma.
Bernard Mayer souligne l’importance du travail avec le corps dans la désensibilisation des traumas. A travers le cas d’Eglantine, il nous fait percevoir l’importance du travail avec le Système nerveux autonome pour remettre en mouvement les processus de réassociation.
Dans l’« Espace Douleur Douceur », Gérard Ostermann nous présente le travail de trois praticiens : - Dans le cas d’une douleur d’épaule, Michel Dumas nous indique comment l’hypnose favorise la réconciliation avec cette partie du corps isolée par la douleur.
- Christophe Hardy nous ouvre à l’utilisation hypnotique du « swiss ball » pour redonner du mouvement à un dos enfermé dans la lombalgie.
- Laurence Dalem nous rappelle l’importance des soins palliatifs et combien la relation n’appartient jamais à une personne, mais est toujours partagée.
Dans le dossier thématique ''Interroger nos pratiques'', Guillaume Delannoy et Nathalie Koralnik nous font comprendre qu’aucun thérapeute n’est à l’abri de faire une « mauvaise séance » et ils développent ainsi un mode d’emploi en 20 points pour s’empêcher de réussir !
Vous pouvez en profiter pour lire le « Quiproquo » de Stefano Colombo sur l’échec, illustré avec humour par Muhuc, afin de comprendre pourquoi l’hypnose, on ne peut pas la réussir, avec un grand avantage : pas de réussite, pas d’échec !
J’ai eu le grand plaisir d’interviewer Dominique Megglé à la suite de la publication de son livre ''Les chaussettes trouées'', synthèse des points importants émergeant de sa longue expérience de clinicien. Il évoque l’importance de penser la psychopathologie à partir de l’hypnopathologie. Voilà une position novatrice qui ouvre de nouvelles perspectives pour nous interroger sur la pertinence de nos pratiques.
Stéphane Radoykov questionne également sa pratique, tout en acceptant ses limites, il recherche des améliorations en sortant par exemple du piège des automatismes. Il fait référence aux questionnaires de Scott D. Miller, essentiels pour se situer dans une dimension de co-construction pour ouvrir des possibles.
Adrian Chaboche nous rappelle la phrase d’Erickson pour nous inciter à être créatifs : « N’imitez pas. Soyez naturellement vous-même. J’ai passé du temps à essayer d’imiter d’autres, ce fut un désastre ! »
Sophie Cohen utilise « l’arbre de vie » pour aider Hélène à se libérer des relations dysfonctionnelles transgénérationnelles et s’autoriser à construire sa propre histoire en lien avec ses valeurs préférées.
Sebastien LASSERRE
Thérapie EMDR-IMO.
A travers mes expériences dans des institutions comme la psychiatrie, l'aide sociale à l'enfance ou la protection judiciaire de la jeunesse, j'ai été confronté aux situations complexes et d''urgences.
Ces nombreuses expériences me permettent d'accueillir les personnes aux détresses multiples et de pouvoir répondre en m'appuyant sur plusieurs axes de travail.
Activité centrée sur les névroses, la question de l'angoisse.
Consultations 4 rue Thureau Dangin
75015 PARIS.
0660820739
https://www.doctolib.fr/psychologue/paris/sebastien-lasserre
seblaspsychologue at gmail.com
Formations Formé aux TAC au CITAC, Collège International de Thérapies par Activation de la Conscience.
Formation au CHTIP Collège Hypnose & Thérapies Intégratives de Paris, et à l'Institut IN-DOLORE.
Formation en EMDR IMO à France EMDR IMO (Laurence Adjadj & Laurent Gross)
Inscrit au Registre des Praticiens EMDR - IMO de France sous le numéro 241405016
Brainspotting, accès et retraitement des mémoires traumatiques. Réparer les cerveaux pour guérir.
Le Brainspotting était né !
« La direction de votre regard influence la façon dont vous vous sentez », voici la devise centrale du Brainspotting. Je vous invite à en faire l’expérience... Pensez à un événement qui vous perturbe, même légèrement... prenez le temps de l’évoquer, vous y plonger en pensée, le rendre présent... puis identifiez la façon dont votre corps y réagit, la sensation physique ou émotionnelle associée (une respiration plus courte ou oppressée, la gorge qui se serre, une tension dans le dos, une boule au ventre...), évaluez-en l’intensité... notez-la selon l’échelle SUD de 0 à 10, puis déplacez votre regard sur votre gauche, évaluez à nouveau... portez votre regard en face de vous, évaluez... déplacez votre regard à droite, évaluez... et notez les différences. Voici un cas clinique de traitement d’un trauma récent pour illustrer les applications cliniques de la thérapie Brainspotting (BSP).
Après avoir frôlé la mort
Je reçois Jean, qui consulte suite à un accident ischémique transitoire (AIT), expérience où il a senti s’approcher la mort de très près, une expérience de mort imminente (EMI). Jean, la cinquantaine, a une stature de colosse : 1,90 mètre pour plus de 100 kilos. Le fauteuil dans lequel je le reçois disparaît sous l’immense carcasse de géant. Dernier garçon d’une fratrie de cinq garçons, il a été élevé sur le mode « sois un homme, un pur, un dur ; ne pleure pas, les émotions c’est pour les filles ». Dans son milieu, l’émotionnel n’a pas droit de cité, le ressenti est syno nyme de danger. Quand il évoque ce qui l’amène, je l’entends affirmer « tout va bien, ça va aller, je me vois avec ma femme, assis dans le jardin, on va s’en sortir... ». Il semble n’avoir aucune conscience de l’émotionnel qui l’anime, son mental prétend que tout va bien mais son corps hurle le contraire : son souffle est court, son dos voûté, les épaules s’enroulent vers l’avant, tout son corps se recroqueville, se ratatine dans le fauteuil, les traits du visage sont crispés...
Alors je laisse ses pensées pseudo-salvatrices tenter de le rassurer tout en l’invitant à porter son attention sur ces sensations dans son corps, notamment sa difficulté à respirer, sa poitrine oppressée... et de bien noter que son regard fixe un point sur le meuble juste derrière moi... et continuer de fixer ce point tout en s’autorisant à sentir ses sensations corporelles... à laisser venir ce qui doit et ce qui peut venir, comme la sensation physique qui change, une émotion, une image, un souvenir, une pensée, une question... sans rien vouloir, sans rien espérer, sans rien imaginer de ce qui peut se présenter mais en observant sur toutes ces dimensions... Voici une des façons de mettre en place le cadre d’une séance Brainspotting.
On note la similitude avec l’hypnose dans l’accueil sans restriction des sensations et l’accompagnement flottant de l’attention, qui favorisent les émergences spontanées et la transformation de l’expérience interne. Lors de cette première séance, les yeux de Jean se sont posés naturellement sur un point dans l’espace, ce qu’on va nommer en Brainspotting, un Gazespot : point de fixation naturel et intuitif par lequel le regard est attiré en raison de l’ouverture cérébrale qu’il crée. On peut également rechercher intentionnellement ce point particulier du champ visuel : le Brainspot. En séance, après avoir identifié l’activation (qui n’est pas forcément de la perturbation mais « ça bouge, ce n’est pas tranquille »), le patient en évalue l’intensité à l’aide du SUD (Subjective Units of Distress, qui induit déjà l’idée que SUD 0 existe, que la guérison est possible). Une fois repérée la sensation physique associée, on va à la recherche du spot : à l’aide d’un « pointeur » (sorte d’antenne rétractable munie d’un embout coloré), on balaye la totalité du champ visuel, d’abord sur l’axe horizontal... et on s’arrête là où on détecte une réponse réflexe, et/ou le patient perçoit non pas que la sensation est plus intense mais où il la sent de façon plus fine, avec plus d’acuité... puis on précise la position en explorant l’axe vertical.
En état de pleine conscience ciblée, en présence
On invite alors le patient à se mettre en pleine conscience dans une triple attention : focalisée sur ses pensées, ses sensations physiques/ émotionnelles, et la fixation du spot. Avoir longtemps travaillé en périnatalité m’a appris à percevoir l’état des bébés à travers les indicateurs subtils que sont la posture, le souffle, la tonicité, un velouté de peau qui se modifie, l’humidité du regard, un clignement d’oeil, un signe de déglutition, un rythme de respiration, l’amplitude du souffle... Sans négliger le récit cognitif, on écoute ainsi chez nos patients tout ce que le verbal ne dit pas, et on accède aux mémoires traumatiques par le biais des réactions physio - logiques du système nerveux. Une fois identifié le Brain spot, j’invite Jean à entrer en état de pleine conscience ciblée, à porter son attention sur ses expériences internes (émotions, sensations, images, pensées...), à faire appel à ses capacités d’intéroception.
Le voici dans un état d’attention double, comme en EMDR : « un pied dans le passé », dans le souvenir de l’événement traumatique, ET « un pied dans le présent », conscient de ce qui se passe dans son corps dans l’ici et maintenant. Avec toute sa curiosité, sans rien espérer, sans même imaginer de ce qui va se présenter, sans rien vouloir, sans rien pouvoir. Comme l’archéologue qui ne sait pas à l’avance ce qu’il va découvrir... juste observer. Moi-même en pleine conscience focalisée à la fois sur son processus et sur mes propres ressentis. Il m’arrive en effet d’être activée des mêmes ressentis concomitamment à ceux du patient : cela m’informe sur son état, ce qu’il traverse. Un état qui mobilise les capacités de « présence » du thérapeute, qui nécessite d’être pleinement relié à son « sentiment de base » (Frans Veldman en haptonomie), ancré dans le vagal ventral (théorie polyvagale). D’après Milton Erickson, « le thérapeute lui-même entre dans un état de transe nécessaire quand il focalise toute son attention sur le patient et sur ses manifestations verbales ou non verbales » (3).
Est-ce cet état de transe ou le partage d’un état de transe commun qui favorise une plus grande activation des neurones miroirs et le processus de contre-transfert limbique qui voit la congruence des sensations physiques et émotionnelles communes au patient et au thérapeute, qui favorise l’empathie, et la guérison ? Cette qualité de présence qui faisait que François Roustang par sa seule présence mettait les patients en état hypnotique ? Présence commune, nécessaire à nombre d’approches thérapeutiques, puisque c’est dans la présence que se tisse la relation. Révélé par une étude sur l’efficacité des thérapies : quelle que soit la technique utilisée, ce qui soigne c’est la relation. Notre domaine est la thérapie du lien : lien du patient avec le thérapeute, lien avec son monde extérieur, ses liens familiaux, amicaux... lien du patient avec lui-même, son monde intérieur, et ses parties dissociées.
En accordage
Un de s f ondement s du Brainspotting est le processus de double attunement que l’on peine à traduire en français par « accordage », comme des instruments de musique qui s’accordent, vibrent sur la même fréquence ; référence à l’accordage mère-nourrisson de Daniel Stern où la mère détecte et déchiffre les signaux (dans le non-verbal), suit le rythme et les besoins fluctuants du nouveau-né, se synchronise à lui. Le Dr Christian Zaczyk parle de syntonie (du grec suntonos qui résonne en accord), synto nisation thérapeute-patient qui les met sur la même longueur d’onde (2). David Grand insiste sur l’importance du double accordage : accordage corps-cerveau chez le patient (à son propre système interne, ses parties dissociées), accordage thérapeute-patient dans la relation. Dans cet accordage, par le biais des neurones miroirs, le cerveau de Jean s’appuie sur les capacités de mon cerveau à s’autoréguler pour se réguler lui-même... ma capacité à rester dans le vagal ventral, ma connexion au Self (selon le modèle Internal Family System
- IFS) pour amener Jean dans son propre ventral, rester dans son Self afin de traverser les activations émotionnelles et traumatiques. Ainsi le trauma se résout grâce à la Présence et l’accordage. La double syntonie auquel l’IFS a ajouté un troisième accordage, celui du thérapeute avec lui-même, à l’écoute de ses propres ressentis, dans l’ouverture, sans rien prévoir, sans imaginer où le patient va aller, vers quoi il va évoluer, où va l’emmener le voyage.
Faire confiance au principe d’incertitude
« L’essentiel de ce qui se passe à l’intérieur d’un individu est inconnais - sable » (1). Ce qui nous amène cette troisième notion chère à David Grand, l’incertitude.
A l’opposé des thérapies stratégiques où le praticien provoque ce qui se passe, prévoit une approche spécifique pour chaque problème, prend l’initiative, en Brainspotting il n’existe pas de protocole, d’étapes prédéfinies, de procédure à suivre. Evelyne Josse le dit aussi, « le protocole rassure le thérapeute mais il est une entrave à l’intuition clinique et à la créati - vité », tout ce qui est prédéterminé s’oppose au principe d’incertitude et détourne de l’accordage affectif intuitif, et donc perturbe le processus créatif de guérison du patient (1). Le thérapeute BSP reste ouvert, curieux, dans une approche phénoménologique. David Grand utilise cette métaphore : le processus de guérison du patient est comme une comète, et nous thérapeutes devons être « dans la queue de la comète » : ni devant à diriger, ni trop loin derrière, « désaccordés ».
C’est « le patient qui mène et le thérapeute qui suit » (1). Parce que même si l’on est expert de la technique, celui qui reste expert de sa problématique (et donc de ses solutions) c’est celui qui s’assoit dans le fauteuil qui nous fait face. C’est pourquoi on travaille avec le principe d’incertitude et sans aucun présupposé. S’il n’y a pas d’incertitude, il n’y a pas d’accordage. En Brainspotting, seul l’imprévu est toujours certain. Dans ces séances, le thérapeute fait confiance à son intuition et sa créativité, ce qu’il perçoit qui va être ajusté à ce que le patient attend, demande... en total accordage. Il se tient dans une posture d’un « savoir être » plus que d’un « savoir faire ». De même François Roustang dans Savoir attendre y développe « ses capacités d’attention, de sérénité et de silence pour attendre, se retenir d’en faire trop, rechercher ou proposer une solution, il se place dans une attention à l’autre, sans intention, sans prétention, une attente ouverte par la curiosité de laisser les choses se faire ». Dans les séances avec Jean, j’interviens très peu, car en intervenant je risque de contrarier ce principe d’incertitude, de casser l’accordage et donc de perturber son processus naturel et spontané de guérison, et tandis qu’il traverse émotions, sensations, impressions... la séance se déroule le plus souvent dans le silence, un silence habité de nos présences.
Brainspotting Ressource et Dissociation
Lorsque Jean revient à la deuxième séance, il demande à travailler sur le souvenir de l’AIT. A l’évocation de cet événement, Jean est débordé,…
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Clotilde HENNEQUIN-RIVOIRE Psychologue. Après une carrière de vingt ans comme graphiste illustratrice, elle opère une reconversion professionnelle et obtient un Master2 PCPP (Psychologie clinique Psychopathologie et Psychothérapie) à l’IED Paris 8, suivi d’un DU de Psychiatrie périnatale à Paris 7. Praticienne en haptonomie, thérapeute EMDR accréditée en 2014, elle a été formée au Brainspotting en 2015 par David Grand en personne. Après avoir travaillé en PMI et en maternité, elle exerce maintenant en libéral.
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FORMATEURS et SUPERVISEURS CERTIFIES EMDR IMO. - Laurence ADJADJ: Psychologue, Psychothérapeute, Présidente de France EMDR IMO ® et de l'Institut HYPNOTIM.
- Laurent GROSS: Psychothérapeute Certifié par ARS en 2013, Kinésithérapeute, Vice-Président de France EMDR IMO ®, Président du CHTIP Collège d’Hypnose et Thérapies Intégratives de Paris et de l'Institut IN-DOLORE
- Dr Pascal VESPROUMIS: Médecin Addictologue, Président de l'ACCH. Anime les supervisions.
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- Sophie TOURNOUËR: Psychologue, Psychothérapeute, Thérapeute Familiale et de Couple. Anime les supervisions.
- Claire DAHAN: Psychologue, Psychothérapeute. Conférencière internationale.
EMDR et MESMAY, regarder le traumatisme en face.
L’EMDR (« Eye Movement Desensitization and Reprocessing ») est efficace dans deux tiers des cas de traumatisme, comme l’ont démontré de nombreuses études. C’est en 1987 que Francine Shapiro a découvert cette thérapie surprenante par les mouvements oculaires alternatifs, d’abord sur elle-même qui venait d’être traumatisée par une annonce médicale catastrophique, puis sur des anciens combattants hospitalisés pour névrose de guerre. Pour étayer le succès de son approche, cette littéraire se forme en psychologie, notamment aux thérapies comportementalo-cognitives (TCC) et devient membre du l’Institut de recherche mentale de Palo Alto. Shapiro bâtit un protocole de traitement inspiré de ceux des TCC, avec, entre autres, bilan pré et post-thérapie, échelles d’évaluation (des cognitions et des émotions), établissement d’une ressource de secours, formulaire de consentement éclairé (1). Nul doute donc que cela ne corresponde aux canons scientifiques exigés par l’époque, avec un protocole alourdi en conséquence, ce qui rend la méthode crédible.
La diffusion de l’EMDR est rapidement mondiale. En 2002, elle reçoit le prix Sigmund-Freud de psychothérapie. Mais quelle est la base de l’EMDR ? Dans l’EMDR, le sujet doit suivre des yeux les doigts du thérapeute qui font devant ceux-ci des allers-retours droite-gauche - droite-gauche plusieurs centaines de fois, pendant qu’en même temps il doit se concentrer sur l’image mentale du traumatisme (désormais appelée « la cible »). En fait, c’est de l’hypnose. Pourquoi ? Parce qu’on demande au sujet de réaliser simultanément deux tâches impossibles à effectuer simultanément, et on le demande comme une évidence. En effet, on ne peut pas se focaliser à la fois sur l’extérieur de soi et sur l’intérieur de soi, sur le dehors et sur le dedans, sur les doigts et sur la cible. Cette suggestion est un paradoxe typiquement hypnotique. En hypnose, il est habituel de charger le sujet de plusieurs tâches simultanées impossibles à faire en même temps. Comme on le demande comme une évidence, l’esprit conscient ne se méfie pas, très vite décroche et les mécanismes réparateurs de l’esprit inconscient peuvent se mettre librement en route.
Tout l’appareil d’allure scientifique dont s’entoure l’EMDR n’est qu’une ruse, volontaire ou involontaire, pour faire accepter cette suggestion comme rationnelle par les patients et les thérapeutes alors qu’elle est parfaitement irrationnelle. D’ailleurs certains sujets entrent ainsi rapidement dans une transe profonde. Comme méthode d’induction, les allers-retours de doigts rappellent l’utilisation ancienne du métronome pour produire l’état hypnotique. Il est essentiel de comprendre que l’EMDR est de l’hypnose pour deux raisons. La première est qu’avec quelques simples aménagements, on peut la rendre encore plus efficace parce qu’encore plus hypnotique (MESMAY). La seconde est que si l’EMDR réussit dans deux tiers des cas, elle échoue dans un tiers. Dans cette situation, l’EMDRiste pur, celui qui vient des TCC et ne connaît que cette approche du traumatisme, est coincé, tandis que le praticien d’hypnose passe tout bonnement à une autre méthode hypnotique de traitement (MHIM ou Photoshop mental).
L’EMDR permet de faire faire au sujet un virage à 180 degrés sans qu’il s’en rende compte...
Aujourd’hui donc, tous les hypnotistes utilisent les mouvements alternatifs des yeux en première intention, parce que cette technique est hypnotique, marche dans deux tiers des cas et permet le recours à une autre approche hypnotique en cas d’échec, autre approche dont elle facilite l’emploi parce que le sujet s’est déjà habitué à regarder son traumatisme en face. L’EMDR contient en effet une deuxième ruse, plus profonde, qui est la source réelle de son efficacité. Elle permet de faire faire au sujet un virage à 180 degrés sans qu’il s’en rende compte. Pendant qu’il suit les doigts des yeux, il oublie qu’il ne fuit plus l’événement qui l’assaillait et qu’il fuyait sans cesse. Maintenant, il le regarde en face plusieurs centaines de fois de suite en l’appelant « la cible ». Or, une cible, on tire dedans. Ainsi le sujet n’est plus passif, a repris de l’action sur l’imagerie mentale du trauma, est sorti de son sentiment d’impuissance et il est guéri. C’est finalement à cela que servaient le déguisement d’allure scientifique de la méthode et le paradoxe hypnotique des deux tâches impossibles simultanément.
2. MESMAY, l’EMDR pour les nuls.
Le protocole de l’EMDR est lourd. La séance est longue : 60 à 90 minutes. Pour tenter de diminuer les 30 % d’échecs, la technique reçoit des sophistications de plus en plus nombreuses (plus ou moins grande vitesse de défilement des doigts et autres). Celles-ci font perdre de vue la ruse essentielle que je viens de décrire en s’égarant dans des voies alambiquées peu probantes. Ou bien, pour expliquer les échecs, on élabore la notion de « traumatismes complexes », pour impliquer que leur traitement sera complexe. Il n’y a pas de traumatisme complexe ; il est là ou il n’est pas là, intense ou modéré, avec des complications ou non, facile à diagnostiquer ou non. Le traumatisme est toujours simple, seuls les thérapeutes peuvent être complexes. Enfin, le terme EMDR est « labellisé ». Il existe une école officielle d’EMDR qui interdit à ceux qui ne s’y sont pas formés en son sein d’utiliser le terme, sous peine de poursuites légales.
Il n’y a pas de traumatisme complexe, il n’y a que des thérapeutes complexes
Voilà pourquoi il m’a paru important de recentrer la technique sur la ruse hypnotique essentielle, de la simplifier en la potentialisant grâce à une communication plus efficace. J’ai donc considérablement appauvri l’EMDR. J’appelle cette approche MESMAY. Cet acrostiche partiel qui veut dire « Mes Mouvements Alternatifs des Yeux » est une blague faible, comme je les aime. Puisque chacun y va de son sigle, j’y vais du mien ! Autre blague faible permise par la première mais qui plaît aux patients à qui je déclare :
« Le traitement du traumatisme, c’est MESMAY ; alors on va faire ça avec MESMAY ». Au début, ils pensent que je parle de leur grand-mère. Une séance habituelle de MESMAY dure vingt minutes, parfois trente. Elle comprend un prologue, deux actes séparés par un entracte et surtout pas d’épilogue.
Prologue 1. On explique brièvement la technique, en quelques mots. Etre concis est important. On indique au patient que si, en cours de route, il est fatigué, on pourra faire une pause. On ne parle que de fatigue oculaire, de rien d’autre. 2. On définit la cible. Elle doit être la pire image mentale du traumatisme, vraiment la pire parmi toutes. Ce n’est pas dangereux car nous ne demandons pas au patient de revivre l’événement mais seulement de travailler une image. D’autre part, quand elle sera désactivée par le traitement, le sujet ne pourra pas nous dire qu’il y avait pire encore. Les autres images seront forcément moins graves. Nous ne risquons pas ainsi de nous laisser embarquer dans d’autres séries de MAY. Le traitement sera terminé. 3. On prévient le patient que la séance finie, on se quittera sans se parler pour que le cerveau fasse son travail au mieux. Cette discrète théâtralisation sert à ce que le sujet prenne totalement confiance dans l’importance de ce qui vient d’être fait avec succès.
Acte I
Le thérapeute se met de trois quarts par rapport au patient pour ne pas être dans son champ de vision. Il lui demande de se concentrer mentalement sur la cible tout en suivant les index et majeur collés ensemble du praticien que celui-ci balade de droite à gauche et inversement devant ses yeux. Le rythme de poursuite oculaire impulsé doit être assez…
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Dr Dominique MEGGLÉ Ancien psychiatre des Hôpitaux des Armées, en pratique libérale depuis 1997. Cofondateur de la CFHTB, président de l’Institut Erickson Méditerranée et président d’honneur de l’Institut Erickson de Normandie. Conférencier et formateur, il est l’auteur de plusieurs livres, dont : Erickson, hypnose et psychothérapie (Retz, 2005), Les Thérapies brèves (Satas, 2011), Douze conférences (Satas, 2011), Le traumatisme mental, signes, diagnostic, traitement (Satas, 2021), Les chaussettes trouées (Satas, 2023).
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Les monstres des cauchemars. Revue hypnose et thérapies brèves 72.
-Patiente : Ah ! non, vraiment c’est très rare.
-Th. : Des cauchemars peut-être ?
-P. : Ah ! oui, ça c’est plutôt fréquent ! »
On peut classer les cauchemars en deux catégories : il y a d’une part les situations dans lesquelles on se fait agresser par des méchants, des monstres, et de l’autre les situations dans lesquelles on est confronté au vide, on a peur de tomber, ou alors on est englué, perdu et on ne peut pas rejoindre ses proches. Les peurs dans les cauchemars correspondent aux peurs de la vie réelle et sont reliées au monde de l’abandon et au monde de la maltraitance tels que les décrit Julien Betbèze (1). Il existe des explorateurs des rêves qui d’une manière individuelle ou culturelle ont développé une connaissance sur les attitudes bénéfiques à avoir en rêve. Ainsi, il est important, selon eux, de toujours combattre et vaincre les ennemis rencontrés en rêve. Nous pouvons les détruire sans remords, ou mieux encore les mettre à notre service. Toute chute peut se transformer en vol, il suffit pour cela de regarder à quel endroit on veut atterrir. Les expériences où l’on est perdu ou englué peuvent également avec bénéfice se transformer en vol. Le vol permet de rejoindre un bel endroit où l’on peut découvrir des trésors et des personnes amicales. D’autres attitudes sont bénéfiques en rêve. Nous nous con centrons ici sur celles qui permettent de transformer les cauchemars en victoire : le combat et le vol.
Quelles sortes de peurs occupent les cauchemars de Karine ?
-Th. : « Vous pouvez me donner un exemple, Karine, du genre de cauchemar que vous avez fait récemment ?
-P. : Oui, ce sont souvent des histoires de vertige.
-Th. : Vous voulez bien m’en dire un peu plus ? Vous êtes en haut de quelque chose ?
-P. : Oui, on visite un château avec mes enfants, on est sur les remparts et il y a des créneaux et j’ai peur qu’ils se penchent et qu’ils tombent. Profitant de l’état de réceptivité de Karine après une séance d’EMDR fructueuse, il me semble qu’une proposition hypnotique est adaptée.
-Th. :Vous pouvez fermer les yeux à nouveau, vous savez que vous êtes ici avec moi en sécurité dans cette pièce, vous êtes également sur les remparts de ce château, je vous invite à vous jeter dans le vide et à bien regarder en bas à quel endroit vous allez atterrir... C’est sans doute un très bel endroit et il y a un trésor à découvrir...
Les signaux non verbaux que m’envoie Karine me laissent penser qu’elle est en sécurité, je peux poursuivre...
-Th. : Et vos enfants, pourquoi ne pas les inviter à vous rejoindre, ils savent certainement voler eux aussi...
Après cette première expérience qu’elle juge bénéfique, Karine souhaite me raconter un second cauchemar.
-P. : L’autre jour mon fils est sorti en ville avec un ami, ils ont fait une rencontre disons potentiellement dangereuse. Dans la réalité cela s’est bien terminé, mais la nuit suivante j’ai rêvé qu’il se faisait tabasser dans la rue par ces deux types.
-Th. : Eh bien Karine, vous pouvez fermer les yeux, et maintenant que vous savez voler, je vous invite à voler au secours de votre fils... vous pouvez le retrouver en ville et tabasser ces deux monstres.
-P. : C’étaient pas des monstres, c’était des types ordinaires.
-Th. : Vous pouvez tabasser ces types ordinaires, vous pouvez les vaincre, vous avez même le droit de les détruire... mais vous pouvez aussi... c’est mieux... les mettre à votre service... Vous pouvez vous avancer vers eux... et leur demander de vous offrir quelque chose... Karine semble apaisée, elle a toujours les yeux fermés, elle a écouté toutes mes propositions en acquiesçant. Il me semble que le temps est venu de la généralisation et de la suggestion post-hypnotique.
-Th. : La prochaine fois, Karine, que vous rencontrez des monstres, ou des types belliqueux en rêve, vous vous avancez vers eux, vous choisissez le plus costaud, le chef, vous vous approchez de lui, au plus près, nez à nez... et vous essayez d’apprendre quelque chose de nouveau, vous lui demandez : “qu’est-ce que tu veux ? qu’est-ce que je peux faire pour toi ?”... et vous lui demandez de faire quelque chose pour vous... et puis vous exigez un cadeau... quelque chose de très concret, un objet... Je tends à Karine de quoi dessiner, un papier et un stylo.
- Th. : Vous pouvez dessiner ce cadeau. Karine dessine devant moi un objet.
-Th. : Maintenant vous pouvez plier ce dessin, le ranger dans votre sac. Vous pouvez vous le procurer de différentes manières : l’acheter, le trouver par hasard, vous le faire offrir ou le fabriquer vous-même. Quand vous l’aurez entre vos mains, cet objet, il symbolisera un nouveau pouvoir que vous avez gagné en rêve. »
La séance se termine par quelques explications et consignes inspirées du travail de Giorgio Nardone (2) : « Nous portons les blessures de toutes les batailles que nous n’avons pas menées. » Toute peur qui n’est pas vaincue est renforcée. Sachant par ailleurs que les tentatives de solution de l’entourage de Karine ont plutôt renforcé sa phobie, je lui propose d’imposer à sa famille une conspiration du silence sur ce sujet. Je lui propose d’affronter ses peurs et de les affronter seule.
Les cauchemars occasionnés par les traumas sont considérés dans le DSM 5 comme un « symptôme d’intrusion » et constituent l’un des critères diagnostiques de l’ESPT. Permettre à une personne de se débarrasser de ses cauchemars est parfois un moyen suffisant pour quitter un diagnostic d’ESPT. Dans le cas clinique suivant, un ESPT durable a sans doute été évité grâce à des interventions relationnelles précoces de l’équipe soignante, de la famille et de la personne elle-même.
Bernard, 89 ans, a été hospitalisé suite à un grave accident cardiaque. Son transfert depuis les urgences jusqu’au service…
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BERTRAND HÉNOT Il dirige l’institut de formation Hexafor à Nantes, qu’il a créé il y a trente ans. Formateur et superviseur, titulaire d’un diplôme universitaire « Théories et cliniques des psychothérapies ». Il enseigne les pratiques narratives et l’approche orientée solution à des professionnelles du social dont la mission est de soutenir la parentalité ou d’y suppléer.